28 janv. 2010

L'Eau(...deur du propre), par Serge LUTENS




Sitôt annoncée, à peine sentie par quelques privilégiés, et voilà que cette Eau fait déjà couler beaucoup …d’encre !
On crie déjà à l’imposture parfumée, on imagine un Serge Lutens à court d’idées compulsant fébrilement le grimoire des formules à la recherche de quelque recette "Sheldrakienne", on taxe de snobisme ultime le slogan "le savon le plus cher du monde", et on glose sur cette "rupture" annoncée par le maestro dans son univers.
On appelle déjà cette Eau un anti-parfum. Un OVNI chez Lutens ! Comment, lui, spécialiste des odeurs fortes, ne craignant le sale, le revendiquant, presque, a-t-il pu observer ce virage à 180 degrés ?

L’odeur du propre.
Qu’est ce que cela signifie aujourd’hui, dans notre monde supra-parfumé, où TOUT doit sentir « bon », maisons, bureaux, magasins,  ascenseurs, toilettes et autres lieux ? On frôle l’overdose de produits parfumants : cachez cette odeur de cuisine que nous ne saurions sentir ! A bas l’odeur naturelle d’une maison qui vit ! Vive les cache-misère parfumés !
Le propre ? Chacun a sa conception de l’odeur du propre : c’est la Javel pour les uns, les nettoyants ménagers pour les autres, l’odeur du désinfectant à l’hôpital, ou tout simplement l’utilisation du produit de base de l’hygiène : le SAVON.
Mais QUEL savon ? Depuis fort longtemps, on parfume les savons : fleurs, fruits, essences, et même parfums alimentaires. Comment s’y retrouver ?
Le savon de Marseille le plus neutre a une odeur, le savon d’Alep nature a une odeur caractéristique…comment s’en sortir de cette odeur de propre ?

On lit deci-delà des recherches de parfums qui sentent le propre…on veut le plus souvent des eaux fraîches, hespéridées, ou musquées. Tout ce que l’inconscient olfactif assimile à la propreté. L’un veut un parfum qui sente la crème Nivea, l’autre un parfum qui lui rappelle le déodorant Dove, le troisième l’exacte odeur de son assouplissant préféré. Quoi de plus normal ? Ce à quoi j’ai envie de répondre : mais utilisez donc vos produits en guise de parfum, puisque c’est cette odeur-là qui vous séduit !!!

Mais quand Serge Lutens imagine un parfum de propre, SA vision du propre, on crie à la trahison olfactive !!!

Et pourtant…Est-ce si aisé de créer une odeur apparemment simpliste quand on est habitué à créer des voyages parfumés ?
N’est-il pas plus délicat de faire sentir le propre, avec toute la subjectivité de cette odeur, pas forcément facile à capturer ? Quand on met du cumin dans un parfum, ça sent le cumin. Point. Mais du propre…

Voilà pourquoi, j’admire l’exercice de style, le travail de création, l’idée même.
Il se murmure que cette Eau est un projet de longue date, sans doute bien mûri.
Il se dit au niveau marketing qu’une partie de la clientèle des Salons désirait un parfum plus facile à porter que les créations existantes, tout en s’offrant la signature Serge Lutens.
Il est de bon ton pour une grande maison que d’avoir son Eau, sa Cologne, à côté de ses créations les plus sophistiquées.
Il est clair que pour une parfumista déçue, toute une clientèle en quête de propritude risque fort d’être séduite. Je pense à la clientèle d’Extrême Orient et sa quête quasi obsessionnelle de l’odeur aseptisée. Je pense à une clientèle américaine et à son parfumage "politiquement correct".

Une crainte cependant par rapport à ce "savon le plus cher du monde" : que cela ne ramène à une époque royale où on utilisait moult parfums et essences pour dissimuler tant bien que mal la crassitude  ambiante !
Pourvu que la clientèle d’aujourd’hui, pas forcément si éloignée dans sa conception de l’hygiène qu’on ne l’était il y a quelques siècles, pense à utiliser auparavant le savon le…moins cher du monde !!!

Le beau Serge est un tonton farceur ! Il jette là un pavé dans la mare, fait un élégant pied de nez à la production parfumée actuelle, brouille les pistes quant à la direction qu’il choisit aujourd’hui…Un flacon différent, un lieu de présentation autre, et le monde s’interroge et philosophe sur une possible implosion  programmée.
Où on parle d’essoufflement, j’entends un éclat de rire ! Aussi cristallin que l’est ce parfum.

Mais finalement, cette Eau, que sent-elle ?
Un peu d’hespérides en têtes, un cœur délicatement fleuri, un fond à peine musqué.
Elle rappelle la lessive Super-Truc-qui-lave-plus-blanc-que-blanc, Marvelon-qui-facilite-le repassage-et-efface-les-faux-plis, une eau de linge qu’on utilise pour rafraîchir les draps (quand il serait si simple de les laver, pour retrouver la fraîcheur du linge propre !!!).
Oui, sans doute, elle évoque tout cela. Pour Lutens, le message est clair : c’est la chemise blanche qu’on enfile après la douche.
Tout cela est frais, aéré, aérien, impalpable. Net, lumineux. Et d’une ténacité incroyable, tant sur la peau que sur les étoffes. On est loin d’une Cologne !

Et pourtant, une fois de plus, en humant cette odeur, je voyage…oh, bien moins loin que d’habitude. A quelques encâblures de chez moi. Il n’y a pas si longtemps…
C’est jour de lessive dans cette courée d’un faubourg populaire lillois. Vite, on sort les lessiveuses, énormes bassines de fer blanc. On fait bouillir l’eau, on prépare le savonnage, on y met le linge sale, et on tourne avec un grand bâton cette lessive. Une brosse dure pour frotter les cols, les poignets, les taches, et on replonge le linge dans la lessiveuse. Dans cette courée modeste où piaillent des enfants, où les anciens refont le monde, où les femmes ont les manches retroussées et le front en sueur, on s’active. Les vapeurs parfumées envahissent l’espace : ça sent le propre ! On étend sur des cordes, en travers de la cour, ces pièces de linge fumant, grands fantômes blancs et parfumés avec lesquels les enfants jouent à cache-cache.
Une pause : c’est l’heure du café à la chicorée. Avant de retourner à une dernière lessive.
Ce soir, les femmes seront exténuées, mais fières de pouvoir, dès demain, habiller leur famille de linge propre et frais, après une séance de repassage d’où s’échappera l’odeur de l’amidon.

Monsieur Serge, vous nous avez bien eus ! Et devez vous amuser beaucoup des essais philosophiques analysant, décortiquant, critiquant, rejetant cette odeur aussi simple qui fut certainement une des odeurs de votre enfance !



VDD  

19 janv. 2010

Cèdre. Serge Lutens

 

Cèdre du Liban, Chateau de La Doutre, 1904
 
Avec un nom si précis, je m'attendais à un jus précis : du cèdre. Point. 
Du bois. Avec son parfum, à la fois doux et sec, apaisant et velouté.
Que nenni ! C'était sans compter sur une nouvelle histoire olfactive du tandem Lutens/Sheldrake.

Cèdre, l'eau de parfum, s'ouvre sur des notes douces, oui, mais sucrées, presque alimentaires. J'y sens un miel ambré, et un parfum que j'ai d'abord du mal à identifier, le parfum de quelque chose qui se mange, et je fouille dans ma mémoire gustative, je me rappelle les mets orientaux dont je me suis délectée...et, oui, ça y est : c'est le parfum du sirop de cèdre ( oui, oui, ça existe au Liban et au Proche Orient ) dont on arrose certains desserts, là-bas, à l'autre bout de la Méditerranée.
Ce sirop parfumé également à la cannelle, épice emblématique des plats orientaux.

Cèdre serait-il un gourmand ? Je ne les affectionne guère mais là, je ne puis m'empêcher de le humer, encore et encore.

Les cèdres de l'Atlas, les cèdres du Liban, ceux de ma Turquie, sont là, et bien là.
Après ce passage sucré/miellé arrive ce que j'appelle l'armature des boisés de Lutens : enfin le majestueux bois de cèdre arrive !
Un bois un peu âpre de par le clou de girofle, un rien entêtant de par la tubéreuse, animalisé par la présence de musc, "fauvisé" par l'ambre.

Un sillage boisé animal qui ne me laisse pas indifférente. Loin de là. Assez troublant dans ses contrastes, comme l'est le fauve qui sait à la fois cultiver son côté sauvage et faire patte de velours.



VDD  

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