27 avr. 2010

Al Oudh, l'Artisan Parfumeur



Edouard DOIGNEAU (1865-1954),  Caravane dans le désert



Un précieux flacon à facettes décorées d'arabesques aériennes, une couleur ambrée en clin d'oeil au henné, un nom évocateur...le voyage peut commencer ! Une caravane parfumée s'étire dans le désert ocre et sable...







Très réussi à mon nez, un bel oud "comme là-bas", avec ce qu'il faut de retenue pour être accessible aux nez occidentaux. Un oud bien élevé, de prime abord.


Un rappel Lutensien dans l'harmonie du parfum : dattes, miel, cèdre et un cumin à la Femme de Rochas, une jolie animalité épicée cuirée enveloppée dans la rose et la fleur d'oranger.
Une rose safranée qui équilibre merveilleusement les notes de civette et de castoréum que je décèle, qui se révèlent et s'amplifient, et qui sont loin de me déplaire.
Santal et myrrhe, enveloppés de volutes d'encens, rappellent l'Arabie, terre d'origine de l'oud. Les baumes et la vanille arrondissent l'ensemble élégamment. Le voyage se poursuit, le dépaysement est complet.

Loin des pseudo ouds de bazar, -et de ceux de certains parfumeurs de niche-, pas aussi "effluves de chameau" que les ouds véritables, mais pas aussi olfactivement correct qu'il n'y paraît,  Al Oudh un excellent compromis pour une découverte fidèle de ce parfumage à l'orientale.
Bertrand Duchaufour a réussi là un fort joli exercice de style.


Sa tenue ? Un détail, pour une fois ! Totalement séduite, j'en ai oublié qu'elle pouvait être légère, comme souvent chez l'Artisan Parfumeur. 

Et j'imagine très bien m'enivrer de cette fragrance dans la nuque d'un homme...


 
 
VDD   

15 avr. 2010

Les parfums, Anna de Noailles


 
 Anna de Noailles, par Ignacio Zuloaga.

Les parfums

Mon coeur est un palais plein de parfums flottants
Qui s'endorment parfois aux plis de ma mémoire,
Et le brusque réveil de leurs bouquets latents
- Sachets glissés au coin de la profonde armoire -
Soulève le linceul de mes plaisirs défunts
Et délie en pleurant leurs tristes bandelettes...
Puissance exquise, dieux évocateurs, parfums,
Laissez fumer vers moi vos riches cassolettes !
Parfum des fleurs d'avril, senteur des fenaisons,
Odeur du premier feu dans les chambres humides,
Arômes épandus dans les vieilles maisons
Et pâmés au velours des tentures rigides ;
Apaisante saveur qui s'échappe du four,
Parfum qui s'alanguit aux sombres reliures,
Souvenir effacé de notre jeune amour
Qui s'éveille et soupire au goût des chevelures ;
Fumet du vin qui pousse au blasphème brutal,
Douceur du grain d'encens qui fait qu'on s'humilie,
Arôme jubilant de l'azur matinal,
Parfums exaspérés de la terre amollie ;
Souffle des mers chargés de varech et de sel,
Tiède enveloppement de la grange bondée,
Torpeur claustrale éparse aux pages du missel,
Acre ferment du sol qui fume après l'ondée ;
Odeur des bois à l'aube et des chauds espaliers,
Enivrante fraîcheur qui coule des lessives,
Baumes vivifiants aux parfums familiers,
Vapeur du thé qui chante en montant aux solives !
- J'ai dans mon coeur un parc où s'égarent mes maux,
Des vases transparents où le lilas se fane,
Un scapulaire où dort le buis des saints rameaux,
Des flacons de poison et d'essence profane.
Des fruits trop tôt cueillis mûrissent lentement
En un coin retiré sur des nattes de paille,
Et l'arôme subtil de leur avortement
Se dégage au travers d'une invisible entaille...
- Et mon fixe regard qui veille dans la nuit
Sait un caveau secret que la myrrhe parfume,
Où mon passé plaintif, pâlissant et réduit,
Est un amas de cendre encor chaude qui fume.
- Je vais buvant l'haleine et les fluidités
Des odorants frissons que le vent éparpille,
Et j'ai fait de mon coeur, aux pieds des voluptés,
Un vase d'Orient où brûle une pastille...




Anna de Noailles,  Le coeur innombrable


                                                                
                                                                  

2 avr. 2010

Baudelaire, Byredo




  
Les transcriptions parfumées des univers littéraires ne m'émeuvent guère.

Ainsi "Baudelaire" de Byredo...
La démarche aurait pu être intéressante, la composition semblait alléchante : bois, cuir, tabac, poivre et baies, encens, ambre et patchouli...des notes "évidentes" dans l'univers baudelairien tel que je me l'imagine. Ne manque que l'absinthe, quoique...une note m'y fait furtivement penser.

Las, après un départ prometteur et affirmé bizarrement "revival eighties" (du XXe siècle !), le jus devient très consensuel, d'une banalité affligeante, comme si le créateur avait voulu devenir olfactivement correct, pour ne pas choquer.
Trop lisse, tout cela, trop propret, trop dans le ton des jus dilués de ce XXIe siècle, et surtout, très très loin de l'univers des Fleurs du Mal, même si soi-disant inspiré du poème "Parfum exotique".

Bon sang ! Il eût fallu là un parfum subversif, débordant de notes fortes, s’entremêlant, s’entrechoquant, s’épousant, se repoussant pour mieux s’unir ensuite, des notes à la fois lascives et violentes, des notes chaudes, incandescentes, brûlantes, tourbillonnantes, jusqu’à l’étourdissement des sens, avant le calme et la volupté d’après l’amour, et ses notes ambrées musquées, cumin aussi.
Un parfum riche, sombre, épais, baumé.

Ici, c’est un Baudelaire censuré auquel on a affaire, un Baudelaire bridé dans la sensualité, dans l’érotisme, - qualifié à l’époque de pornographie -,  de ses vers.
Un hors-sujet ! Pire : un non-sens total dans l'explication de texte.

Un parfum très 2010 dont les effluves allégés à l’extrême, voire dilués, eurent beaucoup déstabilisés le poète, tant on est loin de cet univers, de cette idée des odeurs, senteurs et parfums qu’il a voulu transcrire en mots choisis.

Estampillé "pour nous, les hommes !", c’eût été un déo spray tout à fait correct, même si peu original, dans la veine de ceux dont nous étouffent certains mâââles éprouvant le besoin d’affirmer leur virilité à coups de notes agressives dites masculines.

Pompeusement baptisé "Baudelaire", c’est une trahison !
Irrévérencieux à l’extrême, cet apprenti parfumeur dit "de niche" vend à prix indécent une fragrance essoufflée, tant elle ressemble à beaucoup de jus masculins  (réussis, ceux-là !) des années 80, et même aux créations de certains voisins de niche, plus inspirés.

Choisir Baudelaire pour univers demande sensibilité, talent et imagination. N’est pas artiste qui veut, sauf si le marketing est désormais un art.


notes de tête : genièvre, poivre, cumin
notes de coeur : jacinthe, cuir, encens, notes aromatiques
notes de fond : papyrus, ambre noir, cuir


Portrait de Baudelaire par Gustave Courbet


Je me console en savourant le poème de Baudelaire, 
et en rêvant à ce qu’un parfumeur, un vrai, eût imaginé pour en retranscrire 
la richesse olfactive.



Parfum exotique
Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne,
Je respire l'odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux
Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone ;

Une île paresseuse où la nature donne
Des arbres singuliers et des fruits savoureux ;
Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont l'œil par sa franchise étonne.

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,
Je vois un port rempli de voiles et de mâts
Encor tout fatigués par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers,
Qui circule dans l'air et m'enfle la narine,
Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal


VDD
  

1 avr. 2010

Le parfum, Charles Baudelaire



La Belle du Harem, Adrien Tanoux




Le  Parfum

Lecteur, as-tu quelquefois respiré
Avec ivresse et lente gourmandise
Ce gravin d'encens qui remplit une église
Ou d'un sachet le musc invétéré?

Charme profond, magique, dont nous grise
Dans le présent le passé restauré!
Ainsi l'amant sur un corps adoré
Du souvenir cueille la fleur exquise.

De ses cheveux élastiques et lourds,
Vivant, encensoir de l'alcôve,
Une senteur montait sauvage et fauve,

Et des habits, mousseline ou velours,
Tout imprégnés de sa jeunesse pure,
Se dégageait un parfum de fourrure

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal



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