J’ai longtemps regretté ma rose des sables. C’était le seul ornement de ma chambre d’enfant ; mon père l’avait ramassée dans le désert. Cette fleur de pierre, fille du vent, m’émerveillait. Il m’arrivait de croire que c’était un morceau d’étoile. J’étais un enfant heureux, j’allais en classe avec plaisir, je comprenais tout sans effort.
Mon maître paraissait sévère. Il venait de France, disait-on. Il avait les cheveux gris, les yeux gris. Il arrivait toujours en costume trois pièces, et, avant d’enfiler sa blouse, posait sur le coin du bureau sa montre de gousset en or, qu’il consultait de temps à autre. Le soir, avant l’étude, il me disait de porter cette montre chez lui, je n’ai jamais su pourquoi. C’était pour moi comme le saint sacrement.
Un jour, il convoqua mes parents. Ils me rapportèrent, me voyant inquiet, qu’il n’avait aucun reproche à me faire, bien au contraire. Il leur avait dit que j’étais un enfant intelligent, qu’il ne faudrait jamais arrêter ma course, quelles que soient les circonstances. Il savait qu’ils étaient pauvres. Le soir même, bien que je n’eusse pas faim, ma part de purée augmenta, je compris que mon avenir était en route.
On était en juin. Mon père décida, sur les conseils d’un ami arabe, qu’il fallait quitter l’Algérie pour la France ; des évènements graves se préparaient. Ce fut pour moi un coup de tonnerre. J’avais onze ans, j’avais lu dans les livres qu’il fallait être fort ; j’accusai le coup sans rien laisser paraître. Ainsi, il me fallait quitter ma terre, mes copains, mon instituteur, M. Coche. J’eus envie de lui faire un cadeau d’adieu. Mais quoi ? Je n’avais rien…
C’est alors que je pensai à ma rose des sables. Je l’enveloppai dans du papier journal, je la lui offris à la fin des cours. Il défit le papier, regarda avec intensité, très ému, sans rien me dire. Il posa sa main sur mon épaule, ce fut pour moi comme une bénédiction.
Les années passèrent, l’image de ce maître s’effaça dans ma mémoire, du moins je le croyais. Je regrettais même cette rose des sables qui résumait, à elle seule, mon enfance. Je devins professeur dans la banlieue parisienne. Dès la première année, j’eus la chance d’avoir un élève kabyle d’une intelligence lumineuse. Il venait de perdre son père, comme moi à son âge, il avait quinze ans. Je l’aidai de mon mieux à passer ce cap difficile. Je lui disais qu’il avait un bel avenir. Halam Yhaddadène est aujourd’hui médecin chercheur aux Etats-Unis.
Le dernier jour de classe, comme il allait quitter le collège pour le lycée, il attendit que les autres élèves partent pour m’offrir un cadeau. Je défis le papier journal, sans deviner un seul instant ce qu’il pouvait contenir.
C’était une rose des sables…
Maurice
(Mémoire de maîtres, paroles d’élèves. ed. Librio)