L'Odalisque au tambourin
François Comerre (1850-1916)
François Comerre (1850-1916)
*Il avait de grands yeux très clairs
Où parfois passaient des éclairs
Comme au ciel passent des orages.
Il était plein de tatouages
Que j'ai jamais très bien compris.
Son cou portait : « Pas vu, pas pris. »
Sur son cœur on lisait : « Personne »
Sur son bras droit un mot : « Raisonne ».
Elle est belle, t’as pas idée.
Une vraie princesse de là-bas…
Des yeux d’or, une peau d’ambre :
«Une princesse chaldéenne», il a dit, le capitaine.
Je sais pas où c’est, Chaldée, mais il doit avoir raison.
Il sait plein de choses, le capitaine.
*J'sais pas son nom, je n'sais rien d'lui.
Il m'a aimée toute la nuit,
Mon légionnaire !
Elle avait envie de poser des questions, ça se voyait, elle se mordait tout le temps les lèvres pour s’empêcher de parler.
Elle a rien demandé, j’aurais bien aimé, je crois.
Mais j’ai rien fait pour, non plus.
T’aurais vu les autres gars, ils n’en revenaient pas d’une si belle fille, là, avec nous.
Ben tu vois, c’est moi qu’elle a choisi. Ou c’est moi qui l’ai choisie, je sais plus.
On s’est tombés dessus, quoi !
*Et me laissant à mon destin,
Il est parti dans le matin
Plein de lumière !
Il était minc', il était beau,
Il sentait bon le sable chaud,
Mon légionnaire !
Y avait du soleil sur son front
Qui mettait dans ses cheveux blonds
De la lumière !
Ce qui est bête, c’est que je l’aurais bien revue, après cette nuit.
On se parlait pas, mais on se comprenait.
J’aurais dû lui dire, avant de partir.
Elle sentait bon, en plus.
Elle sentait les fleurs, comme dans les jardins d‘ici, tu sais, les fleurs des orangers, le jasmin.
Et puis les lilas et les jacinthes du jardin, chez nous.
Elle sentait le miel aussi, comme sur nos tartines, quand on était petits.
C’est marrant, elle était belle et gentille, mais c’est son odeur qui me revient toujours.
Sa peau, sa peau chaude et douce, elle doit mettre de la crème dessus, pour être si douce.
Oui, c’est çà, elle sent la crème à la vanille aussi. Et la poudre, ou l’encens, je sais pas, un truc spécial.
Un truc fou avec sa peau dorée, quand t’as senti çà, tu peux plus oublier.
Ça sent l’été d’ici, la chaleur, les fleurs du soir : tu sais, dans l’air, on sent que çà, et parfois, ça nous rend un peu ivres, quand on est bien fatigués.
*Bonheur perdu, bonheur enfui,
Toujours je pense à cette nuit
Et l'envie de sa peau me ronge.
Parfois je pleure et puis je songe
Que lorsqu'il était sur mon cœur,
J'aurais dû crier mon bonheur…
Mais je n'ai rien osé lui dire.
J'avais peur de le voir sourire !
Tu vois, j’ai fait le dur, parce qu’on lève le camp aujourd’hui.
C’est pour çà que je t’écris maintenant.
Là où il nous emmène, le capitaine, on ne pourra pas donner des nouvelles.
Ça va être dangereux, il nous a dit. On s’en doute, c’est notre boulot.
Ce qui est bête, c’est que je ne peux même pas lui écrire, à la princesse.
Tu crois qu’elle attendra ? Une femme qui ne sait rien de toi, elle peut t’attendre ? Je dois pas être le genre d’homme qu’on attend…
Quand on rentrera, je la chercherai. Enfin, peut-être. Elle vaut le coup, tu sais. Elle parle pas trop, elle, au moins. Elle plante ses yeux dans les tiens, ça veut tout dire.
Je lui montrerai des coins d’ici qu’elle a jamais vus.
On parlera pas forcément, mais on regardera le désert. J’aime bien le désert, c’est tranquille.
Je suis sûr que le sable sentira son odeur, à la princesse.
Je dois partir…c’est l’heure.
*On l'a trouvé dans le désert.
Il avait ses beaux yeux ouverts.
Dans le ciel, passaient des nuages.
Il a montré ses tatouages
En souriant et il a dit,
Montrant son cou : "Pas vu, pas pris"
Montrant son cœur : "Ici, personne."
Il ne savait pas...Je lui pardonne.
J'rêvais pourtant que le destin
Il avait ses beaux yeux ouverts.
Dans le ciel, passaient des nuages.
Il a montré ses tatouages
En souriant et il a dit,
Montrant son cou : "Pas vu, pas pris"
Montrant son cœur : "Ici, personne."
Il ne savait pas...Je lui pardonne.
J'rêvais pourtant que le destin
Me ramèn'rait un beau matin
Mon légionnaire,
Qu'on s'en irait seuls tous les deux
Dans quelque pays merveilleux
Plein de lumière !
Il était minc', il était beau,
On l'a mis sous le sable chaud
Mon légionnaire !
Y avait du soleil sur son front
Qui mettait dans ses cheveux blonds
De la lumière !
Chaldée. Patou
*Mon légionnaire (Raymond Asso/Marguerite Monnot)
VDD