Elle m’a aimé dès qu’elle m’a vue. La douceur de ma peau, mon parfum, mon allure, a-t-elle dit. De ce jour, elle ne m’a plus lâché. Je passais mon temps à son bras, ou serré contre elle. Elle me confiait tous ses trésors, papiers, argent, maquillage, parfum.
Elle avait une façon de me caresser, du bout des doigts…elle semblait émerveillée à chaque fois. Elle me reniflait à plein nez, seulement quand nous étions seuls…cela ne se fait pas en public.
J’étais son rêve, disait-elle. Son rêve réalisé.
Un jour, son flacon de parfum mal rebouché s’est déversé dans une de mes poches ! "Au moins, tout le monde saura que je suis là !", a-t-elle seulement dit. Je suis à jamais resté imprégné de son parfum. Une autre fois, c’est son poudrier qui s’est renversé…j’en ai gardé les effluves senteur d’iris. Une autre fois encore, elle oublia de refermer son étui à rouge à lèvres : j’en suis resté barbouillé pendant des années et en garde des stigmates odorants. Et ne parlons pas de son tabac ambré vanillé qui s’échappait régulièrement de son étui !
Cinquante ans avec elle, ce n’est pas rien. Jusqu’à la fin, je suis resté près d’elle, même pour son dernier voyage. Elle m’a réclamé : elle désirait revoir une petite médaille qu’elle m’avait confié, s’imprégner une dernière fois de mon odeur. Puis ce fut la fin.
Sa fille, qui ne m’avait jamais aimé, ne comprenant pas l’engouement de sa mère pour moi, et détestant mon parfum qui "cocottait" et mon allure vieillote, m’a laissé dans mon coin et m’y a oublié, longtemps, ne se souvenant de moi que pour mieux me délaisser. Longtemps.
Puis "elle" est arrivée dans ma vie. Jeune, belle, souriante. Le portrait de sa grand-mère. Elle cherchait une robe ancienne dans la chambre, elle m’a trouvé. Je me suis senti vieux et avachi, et pour elle je voulais être de nouveau jeune et beau, la peau lisse, le parfum d’antan.
Mais cela n’a pas eu l’air de la gêner. Elle a touché ma peau marquée par les ans et les caresses, m’a examiné sous toutes les coutures, ignorant les outrages du temps, m’a tenu à bout de bras, puis contre elle. Je me balançais, je virevoltais, je…revivais.
Soudain, je l’entendis s’exclamer : "Mais tu sens le parfum de Mamie, toi ! Waouh, elle t’a parfumé au n°5 ! Sacrée Mamie !"
Elle s’est mise à me humer, délicatement : "Hummm, tu sens bon le savon à la rose, toi, et l’eau de Cologne, et le parfum de Mamie, et son tabac qu’elle cachait et, oh là là, comme tu sens bon le cuir ancien…j’adoooooooooooore. Je t’adoooooooooooooore !"
Le temps a passé, j’ai vécu une deuxième jeunesse avec elle. Ses amies m’admiraient, ne se gênaient pas pour me toucher ou me renifler, ce qui est un peu gênant pour un vieux Monsieur, mais…cela leur faisait plaisir, visiblement, et je me laissais faire de bonne grâce.
Un jour, nous sommes entrés chez C. Sur une table, un flacon de parfum, parmi tant d’autres, a attiré son regard. Elle en a ôté le bouchon et, le sentant délicatement, a répondu à la vendeuse qui s’empressait auprès d’elle : "Mais je n’ai pas besoin de ce parfum, je le porte depuis longtemps, tous les jours !"
"Oh, vous connaissez Cuir de Russie ? L’ancien alors ? Non, vous êtes trop jeune !", ce à quoi elle déclara, me serrant contre elle : "Oui, un ancien, très ancien, une création spéciale pour ma grand-mère".
La vendeuse n’a pas eu l’air de comprendre…Elle, cela l’a fait rire.
Depuis, nous poursuivons notre vie, je suis toujours pendu à son bras.
Elle m’appelle "mon Cuir de Mamie", et je me fais un devoir de l’accompagner fièrement !
Confessions d’un sac à main, septembre 2010.
VDD