Souvenirs, Jean-Honoré Fragonard
Je n’avais pas senti ce parfum depuis des siècles.
J’étais une toute jeune demoiselle, alors. Mes souvenirs m’envahissent…
Je cours à travers les jardins, libre : j’ai enfin échappé à la surveillance de ma gouvernante, qui veille à mon éducation plus qu’à mon bien-être.
Je cours…je relève mes jupes, ôte mes souliers, et enjambe allégrement les parterres, les massifs, les buissons, respirant au passage les parfums fleuris, suaves et délicats : roses, jasmin, gardénias, narcisses, jacinthes, toutes ces fleurs magnifiques et odorantes qui font le bonheur de Mère, amoureuse d’elles.
Je cours, je vole, riant à gorge déployée, enfin, autant que mon corset de plus en plus serré me le permet. Qu’importe, je me sens heureuse, joyeuse.
Ma course échevelée, « indigne d’une jeune fille de mon rang », comme me le serine ma gouvernante, m’entraîne là-bas, tout au bout des jardins. Là où se trouve la serre. Cette serre dont seule Mère possède la clef, cette serre où elle fait entretenir les espèces les plus rares, des fleurs et arbustes du bout du monde, souvenirs précieux et vivants d’amours à jamais défuntes.
Cette serre où Mère reprend goût à la vie, parmi ses trésors parfumés, qu’elle s’imagine être seule à pouvoir humer. J’ai depuis longtemps trouvé le moyen d’y entrer, bravant ainsi tous les interdits éducatifs, mais qu’importe : je suis libre !
Là est cachée la tubéreuse, dont j’aime tant le parfum. Un parfum que Mère évoque parfois avec ses amies, baissant le ton et rougissant à l’évocation de ce parfum « si osé », ce philtre d’amour dangereux pour les demoiselles comme pour leurs soupirants, ce parfum qui éveille des envies de…bagatelle.
Il n’en fallait pas davantage pour m’attirer en ce lieu, pour pouvoir encore respirer ce parfum suave, qui, mêlé aux fleurs d’oranger de ma coiffure, m’enivre et me grise. Le bonheur m’envahit, des sensations inconnues me parcourent.
Une fois de plus, je ne reste qu’un instant : les appels de ma gouvernante se rapprochent, se font incessants. Elle ne doit pas me trouver ici. C’est mon secret.
Je me réajuste sous les magnolias : coiffure, corset, jupes…et reprends mon chemin dans l’autre sens : les effluves des gardénias, jasmin, roses…se mêlent au parfum de la poudre d’iris dont ma gouvernante parfume ma peau.
Je me repose un moment sous les orangers au parfum miellé, avant de rejoindre Mère au salon. Juste un instant, le temps de cacher au creux de mon décolleté, là où le parfum se fait si charnel, si animal, une fleur de cette tubéreuse si dangereuse.
Ce soir, le chevalier qui fait battre mon cœur est attendu au château…
J’étais une toute jeune demoiselle, alors. Mes souvenirs m’envahissent…
Je cours à travers les jardins, libre : j’ai enfin échappé à la surveillance de ma gouvernante, qui veille à mon éducation plus qu’à mon bien-être.
Je cours…je relève mes jupes, ôte mes souliers, et enjambe allégrement les parterres, les massifs, les buissons, respirant au passage les parfums fleuris, suaves et délicats : roses, jasmin, gardénias, narcisses, jacinthes, toutes ces fleurs magnifiques et odorantes qui font le bonheur de Mère, amoureuse d’elles.
Je cours, je vole, riant à gorge déployée, enfin, autant que mon corset de plus en plus serré me le permet. Qu’importe, je me sens heureuse, joyeuse.
Ma course échevelée, « indigne d’une jeune fille de mon rang », comme me le serine ma gouvernante, m’entraîne là-bas, tout au bout des jardins. Là où se trouve la serre. Cette serre dont seule Mère possède la clef, cette serre où elle fait entretenir les espèces les plus rares, des fleurs et arbustes du bout du monde, souvenirs précieux et vivants d’amours à jamais défuntes.
Cette serre où Mère reprend goût à la vie, parmi ses trésors parfumés, qu’elle s’imagine être seule à pouvoir humer. J’ai depuis longtemps trouvé le moyen d’y entrer, bravant ainsi tous les interdits éducatifs, mais qu’importe : je suis libre !
Là est cachée la tubéreuse, dont j’aime tant le parfum. Un parfum que Mère évoque parfois avec ses amies, baissant le ton et rougissant à l’évocation de ce parfum « si osé », ce philtre d’amour dangereux pour les demoiselles comme pour leurs soupirants, ce parfum qui éveille des envies de…bagatelle.
Il n’en fallait pas davantage pour m’attirer en ce lieu, pour pouvoir encore respirer ce parfum suave, qui, mêlé aux fleurs d’oranger de ma coiffure, m’enivre et me grise. Le bonheur m’envahit, des sensations inconnues me parcourent.
Une fois de plus, je ne reste qu’un instant : les appels de ma gouvernante se rapprochent, se font incessants. Elle ne doit pas me trouver ici. C’est mon secret.
Je me réajuste sous les magnolias : coiffure, corset, jupes…et reprends mon chemin dans l’autre sens : les effluves des gardénias, jasmin, roses…se mêlent au parfum de la poudre d’iris dont ma gouvernante parfume ma peau.
Je me repose un moment sous les orangers au parfum miellé, avant de rejoindre Mère au salon. Juste un instant, le temps de cacher au creux de mon décolleté, là où le parfum se fait si charnel, si animal, une fleur de cette tubéreuse si dangereuse.
Ce soir, le chevalier qui fait battre mon cœur est attendu au château…
VDD